Pourquoi les actes notariés sont-ils incompréhensibles ?

Pourquoi les actes notariés sont-ils incompréhensibles ?

Publié le : 17/02/2021 17 février févr. 02 2021

"Dès l'approbation du présent état liquidatif ou son homologation définitive par décision judiciaire, significations des attributions de créances seront faites aux débiteurs de celles-ci et mentions des subrogations opérées en vertu du présent acte et constatées ci-dessus, seront requises respectivement auprès des services administratifs ou autorités compétentes, notamment service de la publicité foncière ou greffe du tribunal de commerce."

Avouons-le avec honnêteté: le langage juridique, et plus spécialement l'écrit notarial est tout bonnement impossible à comprendre à première lecture par des non-juristes, par la clientèle, et plus généralement par le public auquel ces écrits sont pourtant destinés. Source d'incompréhension voire de doute ou de remise en cause de la confiance vis à vis du notaire, la lecture sans accompagnant des actes notariés est un vrai pensum pour qui ne sait traduire le Droit. Pourquoi ?

Citons CINQ RAISONS pour lesquelles cela n'a qu'une importance relative, et pour lesquelles l'envoi de certains projets d'acte avant leur signature ne font parfois pas mieux qu'embrouiller un peu plus l'esprit des clients, qu'ils soient futurs époux venant signer un contrat de mariage, ou acquéreurs d'un appartement, ou commerçants s'apprêtant à vendre leur fonds de commerce. Décryptage.

PREMIERE RAISON : les autres spécialistes font de même.

L'écrit juridique est une science... comme toutes les sciences.
Quand on se rend chez son radiologue et que celui-ci rend son rapport médical écrit, on n'en comprend ni le vocabulaire, ni le sens général. Le rédacteur a employé des termes médicaux techniques et scientifiques d'une grande précision pour établir un diagnostic médical. Il doit écrire selon la science qui est la sienne. A l'écrit, il ne cherche pas à être compris de son client. Il cherche à être exact et irréprochable dans son travail. En revanche, il donne des explications orales simples à son patient. Il préférera dire que l'os est fracturé, plutôt que de relire son rapport établissant l'état de l'humérus et des contusions multiples qui en résultent...

DEUXIEME RAISON: les notaires doivent se faire comprendre des magistrats.

Les actes sont faits pour être compris de certains services spécialisés de l'Administration et de la Justice. Pour les ventes immobilières, le premier destinataire est le Service de la publicité foncière (anciennement dénommé Conservation des hypothèques). C'est un partenaire public très important pour le notaire, puisqu'il transcrit, une fois l'acte signé, la vente dans le fichier immobilier de l'Etat.

Mais un autre service public est potentiellement destinataire des actes notariés: la Justice. En cas de litige ou de procès, le vocabulaire et la formulation doivent être parfaitement lisibles et compréhensibles pour les avocats, les magistrats, les greffiers, les huissiers. C'est la raison pour laquelle le vocabulaire est extrêmement précis. Un mot plutôt qu'un autre pourrait changer tout le sens d'une clause ou d'un paragraphe. Par exemple, une "promesse unilatérale de vente" n'est pas un "compromis de vente", de même qu'un "contrat de mariage" n'est pas un "avantage matrimonial", ou encore, il y a une différence entre "un époux" et "un partenaire pacsé", ou entre le "conjoint survivant" et "les héritiers réservataires". Les termes à choisir dans un acte sont au mot près, et parfois-même, à la virgule près.

TROISIEME RAISON: il y a des traditions anciennes qui servent.

Cela va vous paraître curieux, mais comme en médecine, le latin sert encore aux notaires et d'une façon générale à de nombreux juristes. Pour désigner une personne décédée dans une succession, il n'est pas rare de le voir désigné sous le terme de de cujus. Mais pourquoi pas "le défunt" ? Parce que "le défunt" pourrait désigner tout défunt de la famille, alors que le de cujus désigne "le défunt dont il est question dans la succession". On ne pourra ainsi pas le confondre avec une autre personne décédée dans la famille et qui serait citée dans l'acte. L'utilité est grande d'être précis en la matière. Autre exemple de tradition utile: les expressions de type "le bien objet des présentes". Il sert à désigner sans le répéter l'appartement vendu, mais avec tout ce qu'il comporte (l'appartement lui-même, les tantièmes des parties communes, la cave vendue avec, le parking,...". C'est tout simplement pratique. Ce n'est juste... pas très courant dans la vie de tous les jours. Mais on s'y habitue vite, surtout dans une Etude notariale.

QUATRIEME RAISON: on est accompagné pendant la lecture de l'acte.

Lors de la lecture de l'acte et au rendez-vous de signature, le notaire ne se contentera jamais (sauf à de très rares exceptions) de lire l'acte sans l'expliquer. Il traduit en langage courant le langage juridique utilisé dans l'acte. Même si de temps en temps, on frôle l'indigestion ou l'ennui, on peut suivre (selon le talent du notaire ou du collaborateur qui fait la lecture) le contenu de l'acte sans être diplômé d'un master en droit. On peut même interrompre le notaire, poser des questions, échanger avec les autres interlocuteurs, et rendre vivant le rendez-vous de signature qui s'annonçait purement formel.

Dans de nombreux cas, il sera possible de reformuler certaines conditions du contrat, de l'ajuster à ses souhaits, et de faire traduire dans l'acte par le notaire sa volonté. Le notaire ou son collaborateur sera toujours volontaire pour répondre à des questions. Bien souvent, il préfère des questions "basiques" que de n'avoir aucune question de la part de ses clients. Le silence peut parfois masquer une vraie méfiance. Il faut bien entendu se rassurer, puisque le notaire est certes un officier public et ministériel, magistrat de l'amiable, mais surtout, un instituteur du Droit. Il dit à chacun ses devoirs et ses droits en expliquant la loi dans un langage qui doit permettre à tous de comprendre. Il doit s'adapter à ses clients.

CINQUIEME RAISON: le Droit ne peut pas se mettre à la portée de tous, partout et tout le temps.

C'est un fait. Le Droit est une science complexe. Il existe autant de codes juridiques que de matières en Droit. Sur ce lien, on dénombre les très nombreux codes actuellement en vigueur. La liste est impressionnante. CODES SUR LEGIFRANCE

Comme la science médicale, la météorologie, la physique, les mathématiques, ou, plus ludique, le Bobsleigh, le Cricket ou le Rugby, le Droit civil, matière la plus employée par les notaires, est d'une grande technicité. Elle n'a pas été faite pour être comprise de tous. Elle est faite pour être en revanche applicable par tous.

En résumé, tout le monde doit respecter le Droit civil, mais personne n'est obligé de connaître les deux mille quatre cents articles et les milliers de sous-articles du Code civil par coeur. On les applique, mais sans les savoir.

L'écrit juridique en tant que science complexe est donc écrite par des spécialistes pour des spécialistes, qui, mécaniquement sont une sorte d'"élite" dans leur domaine de spécialité. Ce n'est ni insultant de le dire, ni arrogant. De même qu'on ne critique pas un virologue lorsqu'il décrit le séquençage d'un virus ou l'utilité de certaines molécules en pleine crise sanitaire, on ne peut critiquer un juriste qui explique un mécanisme de subrogation en plein acte liquidatif de régime matrimonial (comme celui qui introduit cet article). DONT ACTE !

 

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